Cet article est la transcription écrite de mon intervention sur l’événement Disrupt HR 2020 enregistrée au Grand Rex.
Vous trouvez ça normal que le vocabulaire utilisé en entreprise, et notamment en recrutement, soit un vocabulaire si agressif, carrément guerrier ?
Par exemple :
- On dit souvent « le recrutement c’est le nerf de la guerre »
- Certains recruteurs sont des « chasseurs de têtes »
- On construit des stratégies quasiment militaires pour cibler les meilleurs
- Certaines entreprises rêvent d’embaucher des machines de guerre, des tueurs
Certains chefs d’entreprise disent que leur livre de chevet c’est l’art de la guerre et d’autres nous ont expliqué que chez eux la culture d’entreprise c’est la culture de la fight !
Alors j’avoue que plus les années passent et plus ce vocabulaire me gêne.
Quand j’ai commencé dans le recrutement, il y a 15 ans, je ne m’attendais pas du tout à ça ! Après mon Master, comme beaucoup de recruteurs, j’ai choisi ce métier parce que je voulais « faire de l’Humain », avec un grand H. Je voulais être utile et aider les entreprises et les candidats à se trouver, en prenant le temps, en apprenant à les connaître.
Du coup, je vous laisse imaginer le choc ! J’ai vite compris que faire de l’humain et prendre le temps, c’est pas ce qu’on attendait de moi. Non, moi j’étais la pour faire du sourcing, du reporting, des jobdating. Je devais faire du volume, aller vite, être performante. Et on m’a demandé de piéger, tester, stresser les candidats parce que « c’est comme ça qu’on recrute les meilleurs ».
En fait, ce que j’avais pas compris, c’est qu’on était en GUERRE ! Cette fameuse guerre des Talents dont on nous parle depuis plus de 20 ans. Sauf que moi j’ai jamais signé pour faire la guerre ! Et je pense que c’est pareil pour beaucoup de recruteurs.
Depuis mes débuts, j’ai rencontré des centaines de candidats pour qui la recherche d’emploi c’est le parcours du combattant. Et pire que ça, j’ai pu constater que beaucoup d’entre eux détestent clairement les recruteurs, qui sont devenus « l’ennemi ».
On a des secteurs où on croule sous les candidatures à chaque fois qu’une offre d’emploi est publiée et d’autres où il faut dépenser un pognon de dingue si on veut recevoir quelques CV. C’est pas nouveau, ça risque de durer et du coup recruter ça peut devenir compliqué.
J’ai longtemps recruté dans un secteur où ce sont les candidats qui choisissent les entreprises avec lesquelles ils vont travailler. Eux la guerre des talents, ils l’ont déjà gagnée ! Alors ces 7 dernières années, en tant que recruteuse dans l’informatique, j’ai souvent eu l’impression que la candidate c’était moi. Ils m’ont évaluée, testée, mise en concurrence avec les autres et même « short listée » ! Et quand on voit l’état du marché IT, c’est plutôt humain.
On pense souvent que pour bien recruter il faut sortir l’artillerie lourde. Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Pendant ma carrière, j’ai plutôt essayé d’équilibrer le rapport de force avec les candidats, de faire des choses très simples pour gagner leur confiance et finalement de faire la paix avec eux.
Pour moi ça commence déjà par savoir qui on est et ce qu’on cherche. Parce qu’on dit « qui se ressemble s’assemble ». J’ai très souvent travaillé sur des recrutements où les besoins n’avaient pas été pensé. Tu te retrouves à chercher « le clone de Philippe de l’équipe commerciale » ou « le dev Java 5 ans d’XP et dispo ASAP ». Problème : quand tu ne sais pas ce que tu cherches, en général tu as du mal à le trouver. Et je pense que c’est très difficile pour un candidat de rencontrer une entreprise incapable de lui expliquer ce qu’il va vraiment faire et pourquoi. Ça donne envie d’aller voir la concurrence. On le voit dans les annonces : quand on reçoit 20, 30 ou 40 CV complètement à côté de la plaque, a priori, le problème n’est pas uniquement du côté des candidats…
Ensuite, je n’ai toujours pas compris pourquoi le process de recrutement doit forcément être un moment difficile pour le candidat. Certains vont en entretien comme ils iraient à l’abattoir et quand on voit les pratiques de certains recruteurs, on peut les comprendre ! C’est en train de changer, c’est bien! Mais ça ne doit seulement changer pour des raisons de marque employeur ou d’expérience candidat, c’est surtout que personne n’a envie de travailler et de s’impliquer pour quelqu’un qui l’a mal traité (même si au final on n’a pas toujours le choix…)! Le respect c’est la base du métier. Et comme certains l’ont oublié c’est toute la profession qui paie
Enfin quand on veut recruter, il faut aimer les gens, il faut s’adresser à eux, s’intéresser à eux! Dis comme ça, ça paraît évident mais dans les faits, ça ne l’est pas. Et pourtant je parle de choses très basiques : écrire des annonces rédigées pour les candidats, expliquer les étapes du processus de recrutement, tenir ses engagements (en donnant systématiquement des nouvelles après un entretien par exemple). Si on veut attirer « les bonnes personnes », il faut montrer qu’on est la « bonne entreprise » et il ne suffit pas de dire qu’on est le meilleur ou le leader de son marché (surtout quand on ne l’est pas…)
Alors, je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas de stratégie en recrutement. Pas du tout. Par contre, je pense qu’il faut changer de stratégie. Parce que la guerre des talents est terminée. Je ne sais pas qui a gagné mais elle a fait des dommages et des victimes collatéraux des 2 côtés. Il faut arrêter de demander aux recruteurs d’être uniquement de bons petits soldats. Il faut les encourager à trouver la confiance de ceux qu’ils veulent recruter, à faire la paix avec eux, à déposer les armes.
Après tous les évènements que vous nous avons connu cette année, plus que jamais, il est grand temps de comprendre que le recrutement doit montre que le business et l’humain ne sont pas incompatibles mais qu’ils doivent plutôt avancer comme des partenaires.
On peut dépasser cette guerre des talents en décidant que candidats et recruteurs peuvent faire la paix. Ca a été mon fil conducteur depuis le début de ma carrière, les aider à mieux se comprendre et à se réconcilier.